Classe de maître d'Ann Towns du 3 octobre 2025 : Les logiques de genre dans la diplomatie bilatérale
Ann Towns, professeure de science politique à l’université Göteborg en Suède, achève en ce moment la rédaction de son livre Imperial, Familial and Bureaucratic : Gender Logics of Bilateral Diplomacy. Nous l’avons reçue à l’UQAM, où elle nous a présenté son projet et nous a ouvert l’accès au chantier de son 6e chapitre.
Les logiques de genre dans la diplomatie bilatérale
Ann Towns, professeure de science politique à l’université Göteborg en Suède, achève en ce moment la rédaction de son livre Imperial, Familial and Bureaucratic : Gender Logics of Bilateral Diplomacy. Nous l’avons reçue à l’UQAM, où elle nous a présenté son projet et nous a ouvert l’accès au chantier de son 6e chapitre.
À la croisée des études de diplomatie et de l’institutionnalisme féministe en relations internationales, le livre interroge les manières dont le genre se manifeste dans les pratiques de diplomatie bilatérale. Contrairement à la diplomatie multilatérale, qui se concentre sur des projets précis, les ambassades ont pour mission première le maintien de liens. Cette institution qui, pendant une bonne partie du XXe siècle, refusait l’accès aux femmes, se voit paradoxalement associée à des stéréotypes féminins : la vanité, la mondanité, le commérage… Le 6e chapitre, Gendered Sociability: Diplomatic Interactions in a Hierarchical World, nous fait découvrir un univers de sociabilités diplomatiques marquées par des logiques de genre héritées du modèle d’hétérosocialité aristocratique ouest-européen. Les événements dits « informels », partie intégrante du travail de diplomate, sont scriptés d’une manière qui suppose un diplomate (masculin) libéré de toute tâche de soin familial et activement assisté par une conjointe dédiée au rôle d’hôtesse et d’épouse de diplomate. C’est ce que l’autrice nomme la logique familiale de genre. Celle-ci entre en contradiction avec la logique bureaucratique, qui tend à professionnaliser les pratiques et à aplanir les différences de genre entre diplomates. Elle croise la logique de hiérarchie entre États, qui définit qui a accès à quels espaces, qui a les moyens ou non d’avoir du personnel domestique pour pouvoir organiser soupers et cocktails, etc.
Ann Towns trace un portrait nuancé du genre dans la diplomatie bilatérale. Ni un espace figé dans le temps et complètement dominé par les hommes, ni totalement fluide en termes de normes de genre, la diplomatie bilatérale est définie par une structure genrée relativement persistante, qui laisse néanmoins la place à de la subversion à travers ses différentes logiques parfois contradictoires.
Ann Towns fait une excellente description de manières dont le genre structure les pratiques de diplomatie bilatérale, sans prétendre à l’exhaustivité. Elle argumente de façon convaincante en faveur d’une prise en compte du genre dans l’étude de la diplomatie bilatérale. La valeur explicative des logiques contradictoires a cependant des limites. Pourquoi certaines normes persistent alors que d’autres sont plus facilement remises en question? Une approche matérialiste aurait mis au centre de l’analyse l’enjeu de la division du travail selon le genre. Certaines normes pourraient être plus faciles à subvertir et à faire évoluer car elles n’affectent pas le fondement du système sur du travail fourni gratuitement dans le cadre de la famille. La question du travail gratuit est partout présente dans les observations d’Ann Towns, sans jamais être au centre de son analyse. La discussion sur le genre en diplomatie bilatérale est donc à poursuivre, et le mérite de l’ouvrage est précisément de l’avoir ouverte.